31 décembre 2019

Communiqué général

A la suite de la publication de notre tribune dans lemonde.fr du 26 décembre, le président de la République a demandé à son conseiller diplomatique, Emmanuel Bonne, et son conseiller pour le Moyen-Orient, Patrick Durel, de nous recevoir. La réunion a eu lieu hier lundi 30 décembre et a duré une heure. Les conseillers nous ont confirmé la totale détermination du président de la République et de la diplomatie française pour obtenir la libération inconditionnelle de Fariba et Roland. Les efforts se poursuivent dans le contexte international et régional difficile que vous savez.

Nous avons posé des questions sur l’état de santé et les conditions d’incarcération de F & R, et nos interlocuteurs n’ont pas toujours été en mesure de nous répondre – cet aspect des choses est plutôt suivi par la Cellule de crise du ministère des Affaires étrangères et l’ambassade de France à Téhéran. Ils nous rappelleront à ce sujet.

Nous avons évoqué plusieurs pistes de mobilisation possibles de notre part, en insistant sur notre double souci de ne pas gêner le travail diplomatique, et d’être présents aux côtés de nos deux collègues.

Seule l’hypothèse d’une plainte au pénal contre le directeur de la prison, le commandant en chef des Gardiens de la Révolution et le Guide la Révolution dont ceux-ci dépendent constitutionnellement, pour séquestration et actes de torture, a suscité les réticences de nos interlocuteurs, qui craignent qu’une telle démarche n’aboutisse à un raidissement supplémentaire de l’Iran.

L’hypothèse de l’envoi à Téhéran d’une délégation scientifique de haut niveau pour demander la libération de F & R supposerait que cette visite soit préparée en amont de concert avec les autorités iraniennes, ce qui rend d’emblée improbable la réalisation de cette dernière.

Nous avons évoqué assez longuement nos démarches en faveur d’une suspension de la coopération scientifique institutionnelle avec l’Iran, sans cacher que celle-ci se heurte aux objections d’une partie de la communauté universitaire française. Nous avons suggéré de constituer un front diplomatique commun avec les autres pays occidentaux qui ont eux aussi des universitaires détenus arbitrairement par l’Iran. Nous avons exprimé notre mécontentement quant à la mollesse du CNRS, co-tutelle administrative du CERI, face à la détention de l’un de ses chercheurs.

Au vu du précédent anglais, nous avons fait part de notre scepticisme quant à l’initiative de la grève hebdomadaire de la faim, le vendredi, devant l’ambassade d’Iran, que s’apprêtent à prendre certains de nos collègues, opposés par ailleurs à la suspension de la coopération scientifique avec la République islamique. Nous craignons que cette forme de mobilisation ne s’avère contre-productive et ne puisse être pérenne.

Nous avons annoncé que d’une manière ou d’une autre nous organiserions un rassemblement dans les jours à venir pour exprimer notre solidarité et notre indignation, et souligné qu’une action de ce genre serait inévitable le 11 février, date anniversaire du renversement du régime du Shah qui tient lieu de Fête nationale en Iran.

Hormis les réserves susmentionnées, nos interlocuteurs ont estimé bien-fondées et légitimes ces formes de mobilisation qui montreront aux autorités iraniennes que la société française fait front devant l’injustice faite à F & R. Notre présence dans les médias et l’espace public est bienvenue.

De cet entretien, nous pouvons tirer un sentiment mitigé. L’engagement des autorités françaises est total, le travail diplomatique se poursuit, et la cellule diplomatique de la Présidence est à notre écoute si besoin est et continuera de nous informer. Mais ne nous faisons pas d’illusions. Nous devons nous installer dans la durée et ajuster à cet horizon de temporalité notre mobilisation car les décideurs iraniens qui ont entre leurs mains F & R s’estiment en position de force. Nous n’avons d’autre choix que de camper sur notre position de principe d’une libération inconditionnelle de nos deux collègues arbitrairement détenus. Répéter inlassablement cette exigence élémentaire ne pourra que contribuer à dissiper les illusions d’un “deal” possible chez les décideurs iraniens, qui auront ainsi moins intérêt à jouer la montre, même s’ils contrôlent aujourd’hui le calendrier.

Cela va être émotionnellement difficile pour nous, mais nous devons apprendre à gérer cela et réfléchir à une méthodologie de notre mobilisation qui soit efficace dans la durée.

Jean-François Bayart, Jean-Pierre Filiu, Béatrice Hibou et Sandrine Perrot

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