Discours d’ouverture de Jean-François Bayart: Hommage du 7 juin 2022
Merci à toutes et tous d’être présents si nombreux, et merci à toute l’équipe de l’IHA de son généreux accueil.
Ce dernier dimanche a été le troisième anniversaire de l’arrestation de Fariba et de Roland. Roland a été échangé le 20 mars 2020, Fariba est toujours privée de sa liberté. Du fond de sa prison elle nous a toujours demandé, quand elle en a eu la possibilité, de ne pas dissocier sa cause de celle de ses compagnes et compagnons d’infortune, en Iran même, mais aussi de par le monde. Ce n’est donc pas la trahir que d’associer à cette manifestation de défense des libertés scientifiques et culturelles et à sa cause les noms emblématiques d’Osman Kavala, arrêté en Turquie en 2017 et condamné en avril à la détention à perpétuité, et de Memorial, association russe interdite par le régime de Poutine. Mais, derrière ces deux noms supplémentaires, combien d’autres encore, dans ces pays et au-delà : par exemple les co-accusés d’Osman Kavala comparus libres et incarcérés à l’issue de l’audience ; Giulio Regeni, assassiné par la police politique de Sissi en janvier 2016, etc. etc.
La vérité est que partout, y compris au sein de l’Union européenne, et en France même, les libertés scientifiques et culturelles sont mises à mal par la répression politique, judiciaire ou policière et par la puissance de l’argent.
Au nom du comité d’organisation, aussi informel qu’efficace, je voudrais dire deux choses à ce propos:
1. Nous, chercheurs et artistes, nous formons un rhizome. On peut bien en couper ici ou là les arbustes. Mais dans l’humus de la société nous poursuivons notre œuvre et tôt ou tard nous sortirons vainqueurs de cette période sombre, comme il en est advenu à d’autres périodes plus sinistres encore de l’Histoire. Je puis en témoigner à partir de l’expérience de ma maison de campagne, en Ardèche : les rhizomes finissent toujours par l’emporter. A bon entendeur, salut.
2. Il serait temps, grand temps, que les gouvernements européens prennent plus au sérieux le sort de la science et de la culture dans leurs relations avec les régimes autoritaires ou totalitaires tels que la Russie, la Turquie, l’Iran, mais aussi la Chine et tant d’autres, ou dans leur gestion répressive des migrations, ou dans leur tutelle de leurs propres forces de l’ordre. Nous n’avons pas à être la variable d’ajustement de la diplomatie ou de la politique intérieure. Il y a quelque chose de sacré dans nos métiers, dont nous demandons le respect car il en va du caractère démocratique (ou non) de nos sociétés.
Du fond de la prison d’Evin, en pleine grève de la faim, Fariba avait écrit à Ebrahim Raïssi, alors chef du pouvoir judiciaire, aujourd’hui président de la République, demain peut-être Guide de la Révolution : « Sauvez les chercheurs, sauvez la recherche pour sauver l’Histoire ». Elle faisait allusion à un livre qu’elle aime de l’historien subalterniste indien, spécialiste de la Chine, Prasenjit Duara : Sauvegarder l’Histoire de la Nation. Pour exprimer notre solidarité nous ne pouvions donc trouver un meilleur lieu que l’Institut historique allemand. Merci, cher Thomas, de ton hospitalité.
Jean-François Bayart
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Sandrine Perrot (9 juin 2022). Discours d’ouverture de Jean-François Bayart: Hommage du 7 juin 2022. Fariba Adelkhah & Roland Marchal Support Committee. Consulté le 21 janvier 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/opa7
