“Le grand marchandage des Français détenus en Iran”, Armin Arefi, Le Point, 3 février 2022
Souffrant de nombreuses irrégularités, les condamnations de Fariba Adelkhah et de Benjamin Brière visent avant tout à extorquer des concessions à la France.Les deux rebondissements sont intimement liés. Le 12 janvier dernier, la chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah, assignée à résidence à son domicile de Téhéran depuis octobre 2020, est réincarcérée dans la funeste prison d’Evin pour avoir, selon la justice iranienne, enfreint les règles de sa liberté surveillée. Une semaine plus tard, le touriste français Benjamin Brière, emprisonné depuis vingt mois à Machhad (nord-est), comparaît devant un tribunal révolutionnaire de la ville, où il est condamné à huit ans et huit mois de prison pour « espionnage » et « propagande » contre la République islamique.
Il s’agit d’« otages, il faut appeler les choses comme cela », s’émeut le 28 janvier le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, tandis que le président Emmanuel Macron évoque leur cas auprès de son homologue iranien Ebrahim Raïssi, lors d’un entretien téléphonique réalisé le lendemain. « Ces réactions officielles des autorités françaises nous donnent de l’espoir et nous montrent qu’il se passe quelque chose pour obtenir la libération de Benjamin », se réjouit auprès du Point Blandine Brière, la soeur du détenu français qui a décidé de mettre fin à la grève de la faim qu’il avait entamée le 25 décembre dernier pour dénoncer sa situation. « Les accusations qui pèsent sur mon frère sont aberrantes et totalement injustifiées. Elles montrent qu’au-delà d’être un simple touriste qui a réalisé quelques maladresses, il s’agit avant tout d’un conflit politique où l’ Iran cherche à obtenir quelque chose de la France. »
Drone de loisirs
Âgé de 36 ans, Benjamin Brière, un féru de voyage qui réalisait le tour de l’Iran en van depuis six mois, a été arrêté par les forces de sécurité en mai 2020 alors qu’il manipulait un drone de loisirs dans un parc naturel situé dans le nord-est du pays. « Ce n’est en rien un drone d’espionnage, mais un appareil commercial de 100 euros comme on peut en trouver dans les mariages », souligne Saeid Dehghan, l’un des avocats de Benjamin Brière. Alors qu’il est accusé d’avoir pris « des photographies de zones interdites », les autorités iraniennes lui reprochent également d’avoir critiqué sur les réseaux sociaux pendant son voyage le port obligatoire du voile en Iran pour les femmes, un fait requalifié en « propagande contre le système ». « Jamais le droit n’a été respecté dans cette affaire », s’insurge Saeid Dehghan. « Cela montre que ce dossier est avant tout politique. »
D’après le conseil, Benjamin Brière aurait tout d’abord été illégalement incarcéré pendant vingt mois sans le moindre procès alors que, d’après les accusations qui pesaient contre lui, le Français devait, selon la loi iranienne, purger au maximum neuf mois de prison en détention préventive. Les conditions mêmes de son procès posent question. « Le matin de l’audience, l’affaire a été transférée de la branche n° 3 du tribunal révolutionnaire qui traitait jusqu’ici le dossier à la section n° 4, avec la désignation d’un nouveau juge », pointe l’avocat. Autre anomalie, un nouveau chef d’accusation – collaboration avec un État hostile, en l’occurrence la France – a été retenu au dernier moment contre Benjamin Brière, venant s’ajouter aux autres charges et permettant une condamnation beaucoup plus lourde. « Enfin, à l’issue du verdict, indique Saeid Dehghan, le nouveau juge a ajouté que Benjamin Brière pourrait peut-être faire l’objet d’un échange, ce qui ouvre la voie à une négociation politique. »
Échange de prisonniers
Le marchandage de prisonniers occidentaux contre des détenus iraniens ou pro-iraniens en Occident est la pratique favorite de la République islamique, maintes fois éprouvée au cours des quarante-trois dernières années. En juillet 1990, le président François Mitterrand graciait le Libanais Anis Naccache et les quatre autres membres de son commando qui avaient tenté d’assassiner en 1980 l’ancien Premier ministre iranien Chapour Bakhtiar, après la libération des derniers otages français détenus au Liban par des groupes islamistes pro-Téhéran. En mai 2010, la France acceptait de libérer l’Iranien Ali Vakili Rad, qui avait finalement réussi à abattre Chapour Bakhtiar à Suresnes en 1991. La veille, la République islamique avait autorisé la sortie du territoire iranien de l’étudiante française Clotilde Reiss, incarcérée puis assignée à résidence à Téhéran pendant onze mois.Plus récemment, en mars 2020, Paris relâchait Jalal Rohollahnejad, un ingénieur iranien détenu à Nice depuis le 2 février 2019, pour avoir contourné, selon Washington, les sanctions américaines contre la République islamique. En échange, l’Iran libérait le chercheur français Roland Marchal, emprisonné pendant neuf mois dans la prison d’Evin pour « collusion en vue d’attenter à la sûreté nationale ». L’homme avait été arrêté le 5 juin 2019 à l’aéroport international Imam-Khomeini de Téhéran, le même jour que sa compagne, l’universitaire Fariba Adelkhah. « Notre arrestation a clairement été réalisée en rétorsion de celle de Rouhollanejad », affirme aujourd’hui au Point Roland Marchal. « Il ne s’est écoulé que deux semaines entre l’avis favorable de la cour d’appel d’Aix-en-Provence pour son extradition vers les États-Unis et notre arrestation à Téhéran. »
Diplomate-espion
Aujourd’hui libre, le spécialiste de l’Afrique au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po a appris avec stupeur la réincarcération le 12 janvier de Fariba Adelkhah par la justice iranienne, après quinze mois d’assignation à résidence. « Fariba a été arrêtée pour des raisons qui n’ont rien à voir avec elle, mais qui sont liées à la relation entre la France et l’Iran », insiste-t-il. Condamnée en mai 2020 à cinq ans de prison pour « collusion en vue d’attenter à la sûreté nationale », cette experte du chiisme et de l’Iran post-révolutionnaire au Ceri avait obtenu au bout de seize mois la possibilité de vivre chez elle à Téhéran avec un bracelet électronique limitant ses déplacements à 300 mètres. « Le pouvoir judiciaire venait de lui donner l’autorisation de se déplacer dans l’ensemble de la capitale, ce qui a déplu aux forces de sécurité qui ont trouvé un prétexte pour la réincarcérer », explique Saeid Dehghan, également l’un des avocats de la Française. « Dans le cas de Fariba Adelkhah également, aucune notion de droit n’est respectée », poursuit le conseil. « En vertu de la loi iranienne, en ayant purgé le tiers de sa peine, elle pouvait être totalement libre. » Ses proches en sont persuadés, la réincarcération de Fariba Adelkhah est uniquement liée à son statut en Iran. « C’est une chercheuse binationale, donc considérée comme uniquement iranienne par les autorités, et elle fait partie des gens qui dérangent, car elle s’exprime », estime l’un de ses amis. Que vaut-elle exactement aux yeux des autorités iraniennes ? Il ne reste plus qu’un seul prisonnier iranien sensible en Europe. Il se nomme Assadollah Assadi, un diplomate de l’ambassade de la République islamique à Vienne, condamné le 4 février 2021 à vingt ans de prison par un tribunal belge pour « tentatives d’assassinat à caractère terroriste » et « participation aux activités d’un groupe terroriste ». Considéré comme un agent des services iraniens du renseignement agissant sous couverture diplomatique, cet homme de 50 ans avait projeté en 2018 un attentat en France contre un rassemblement des Moudjahidine du peuple, l’un des principaux groupes d’opposition à Téhéran. Sa libération paraît aujourd’hui difficilement envisageable, d’autant qu’il a été condamné par la justice belge à la peine maximale, et qu’il aurait potentiellement pu provoquer un carnage à Villepinte.Négociations sur le nucléaire« Je ne crois pas que Fariba soit l’enjeu d’un échange de prisonniers », estime son ami Jean-François Bayart, chercheur et coordinateur de son comité de soutien. « Son cas peut être davantage lié à des sujets diplomatiques entre la France et l’Iran, comme les négociations sur le nucléaire à Vienne ou d’autres dossiers moyen-orientaux comme le Liban, la Syrie ou le Yémen. » De tous ces sujets, le plus brûlant demeure sans aucun doute les pourparlers sur le programme atomique de l’Iran, qui entrent ce mois-ci dans une phase décisive pour tenter d’empêcher que la République islamique ne se dote de l’arme nucléaire. Or, le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian, a dénoncé à plusieurs reprises les « positions non constructives de la France », qui participe directement aux négociations. Ainsi, la partie iranienne pourrait-elle être tentée de faire pression sur les diplomates français en usant de la carte des otages.« L’histoire récente a montré que l’Iran, lorsqu’il condamnait des citoyens étrangers, ne cherchait pas toujours des échanges de prisonniers, mais qu’il pouvait demander des concessions sur d’autres sujets », rappelle l’avocat Saeid Dehghan. « Or, il est important que les pays occidentaux ne négocient pas ces cas individuellement avec Téhéran, ce que cherchent les Iraniens et encourage les prises d’otages, mais qu’ils les résolvent ensemble dans le cadre d’une négociation globale avec l’Iran, accolée pourquoi pas à la question du nucléaire. » Outre Fariba Adelkhah et Benjamin Brière, au moins quatorze autres citoyens détenteurs de passeports occidentaux sont actuellement emprisonnés en Iran, considérés comme une monnaie d’échange aux mains de la République islamique. Pourtant, le terme « échange » n’est inscrit nulle part dans le droit iranien.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Sandrine Perrot (4 février 2022). “Le grand marchandage des Français détenus en Iran”, Armin Arefi, Le Point, 3 février 2022. Fariba Adelkhah & Roland Marchal Support Committee. Consulté le 16 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/op7w